Antoine Griezmann : une carrière en Bleu


Été 98. M6 part en reportage, près de Lyon, à l’occasion du troisième match de préparation au Mondial des Bleus. Un instant, la caméra suit un jeune garçon blond qui cherche à faire signer son ballon par les grands Zidane, Henry, Barthez et autres figures de cette fameuse génération. Dans la foule, un homme lance : « C’est la relève les gars ! ». Il ne croyait pas si bien dire. Ce garçon, c’est lui. Celui qui deviendra, plus tard, l’un des piliers de l’équipe de France : Antoine Griezmann.  

Chapitre 1 : 2014, l’entrée en scène

Il aurait pu la faire plus tôt, s’il n’avait pas fait partie de la virée nocturne avec certains de ses coéquipiers d’Espoirs, deux ans auparavant. Un aller-retour Havre-Paris, en taxi dans la nuit, qui lui aura coûté cher : suspension pendant un an de toute sélection en équipe nationale. Mais cette fois, Antoine est dans le bon taxi, direction Clairefontaine. Il est l’un des heureux élus qui participeront à la Coupe du monde. Quelques mois plus tôt, Didier Deschamps le convoquait pour la première fois, en n’ayant aucun mal à se justifier. « Il n’y a qu’à suivre ses performances avec son club, il est très efficace, il marque beaucoup de buts, en fait marquer et peut évoluer sur plusieurs positions sur la ligne d’attaque. Et puis, au-delà de ça, c’est un joueur qui a beaucoup de justesse technique. ». Et voilà comment, le 5 mai 2014, Griezmann s’est retrouvé à chanter La Marseillaise, le maillot bleu sur le dos, titulaire pour sa première sélection. Pour sa première, il ne fait pas l’unanimité. Certains vont même jusqu’à se demander si on le reverra en Bleu. Il fera taire les mauvaises langues, enchaînant avec la préparation au Mondial : trois matchs, trois buts, dont un doublé. Cap sur le Brésil pour le joueur de la Real Sociedad. La suite, on la connaît. La France échoue en quarts contre l’Allemagne, future championne du monde. Le Mâconnais repart en larmes. Mais avec le mérite d’être parvenu à se faire une place dans l’équipe.


Chapitre 2 : 2016, la révélation

Alors qu’il digère seulement sa défaite en finale de Ligue des champions avec l’Atlético, Antoine est déjà dans le bus pour l’Euro. À la maison cette fois. En deux ans, l’effectif des Bleus a connu des changements, amputé notamment de Karim Benzema et Mathieu Valbuena. Le champ est libre pour la nouvelle génération qui a commencé à éclore au Mondial, et le duo Pogba-Griezmann en fait partie. Pour ce début de tournoi, la France est attendue au tournant et le Madrilène d’autant plus, à l’image de son influence grandissante au sein des Colchoneros. Pourtant, malgré la victoire tricolore face à la Roumanie, son premier match n’est pas à la hauteur des attentes. Et cela ne passe pas sous les radars des journalistes : « L’inquiétude Griezmann » titre L’Équipe quelques jours après. Mais, la suite de la compétition aura raison d’eux.  Après avoir été buteur face à l’Albanie et retrouvé sa place de titulaire sur le troisième match, « Grizi » va faire rêver la France. Dès les huitièmes face à l’Irlande, il est décisif. Après une première période sulfureuse, menée dès la 2e minute, Deschamps change totalement de tactique. Une recette qui réussit à Griezmann : meneur de jeu, il lui suffit de quatre minutes et d’un doublé pour changer le destin tricolore. Et la machine ne s’arrêtera pas là. Face à l’Islande, il livre un match plein : deux buts, une passe décisive.  Puis, dans un Vélodrome plein à craquer, prend sa revanche sur 2014, et d’un doublé renvoie les champions du monde chez eux, à son tour. Sur un piédestal, le natif de Mâcon n’est pourtant pas résolu à s’attribuer le succès. « Ma réussite est celle de tous, des joueurs, du staff, des kinés » lâchera-t-il à un journaliste. Malheureusement pour lui, sa montée en puissance ne sera pas couronnée d’un titre. Face au Portugal, les Bleus sont privés d’un sacre à domicile. C’est la désillusion totale. Mais Antoine n’a pas tout perdu : élu meilleur buteur et joueur de la compétition, il est devenu l’un des piliers de cette équipe. 

Chapitre 3 : 2018, la consécration

Pourtant ce n’était pas bien parti pour le numéro 7. Prestation transparente, terne, il avait habitué à mieux. Mais, alors que tout le monde se questionne, ses coéquipiers ne s’inquiètent pas. « Je pense que les matchs à élimination directe seront les bons matchs pour Antoine. Il va hausser son niveau de jeu parce qu’il sait qu’il est l’un des meilleurs de la Coupe du monde », explique Hugo Lloris et il ne s’est pas trompé. Après un premier tour laborieux, à l’image de l’équipe, il répond présent. Contre l’Argentine, il est partout. Pendant que Kylian Mbappé attire l’attention et reçoit de flatteuses comparaisons avec Ronaldo ou Pelé, Griezmann mène la danse sur tous les fronts, dans l’ombre, et monte progressivement en puissance : buteur contre l’Uruguay, passeur face à la Belgique, et impliqué sur trois des quatre buts contre la Croatie, livrant sa plus belle prestation de la compétition. Au coup de sifflet final, Antoine s’effondre en larmes, mais cette fois, ce sont des pleurs de joie. Plus qu’une étoile, c’est la consécration d’une vie, celle d’un gamin qui rêvait de ce trophée, et à qui l’on a rabâché qu’il était trop petit pour devenir professionnel. Il finit son périple au sommet, autant collectivement qu’individuellement. Mais, même ajouté à ses deux titres majeurs (Supercoupe d’Europe, Ligue Europa), ses 36 buts, son extrême régularité, ce sacre ne lui permettra pas d’ajouter un autre trophée à son armoire cette année-là : le Ballon d’or. Alors que tout le monde le voyait déjà en haut du podium, il devra se contenter d’une injuste troisième place.

Chapitre 4 : 2020-2021, passage à vide 
Griezmann ne vit pas des jours heureux en club. En quittant l’Atlético, il a troqué son influence incontestable dans les rangs de Diego Simeone contre une place de second plan au Barça. Il ne s’épanouit pas, et sa saison s’en fait ressentir. Malgré tout, Deschamps a confiance en lui. « Antoine reste Antoine. Et à aucun moment je ne peux m'imaginer qu'il va perdre de l'influence en équipe de France, sous prétexte qu'il a été moins efficace la saison passée avec le Barça. ». Mais, cela ne lui aura pas suffi pour briller à l’Euro. Après avoir perdu de l’influence en club, c’est au tour de la sélection. Pourtant, le retour de Benzema laissait entrevoir un trio prometteur avec Griezmann et Mbappé. Mais, ce sera seulement sur le papier. Sur le terrain, le Mâconnais passe au second plan et le trio devient un duo. Le point d’équilibre n’a pas été trouvé. Antoine est méconnaissable. Et il n’est pas impossible que cela ait eu de l’influence sur l’élimination prématurée des Bleus, en huitièmes face à la Suisse. Quelques mois plus tard, en une soirée, il ajoute quand même de nouvelles lignes à son palmarès : la Ligue des Nations et sa 100e cape en équipe de France.

Chapitre 5 : 2022, le chef d’orchestre

Trois jours avant le début du Mondial 2022, Benzema déclare forfait. Signe du destin ou non, chacun aura son avis. Après un Euro en demi-teinte, Deschamps avait déjà entrepris de replacer Antoine au centre de son système, en tant que milieu relayeur. Un poste qui ne pouvait pas mieux coller. Un peu plus bas dans l’axe, parfois en soutien de ses attaquants, d’autres fois en troisième milieu de terrain, il renaît. « J’adore ce nouveau rôle. Défensivement, je dois aider mes coéquipiers et avec le ballon, les mettre dans les meilleures dispositions. Je suis assez libre ». Dans les journaux, on parle du « cerveau de la France » ou encore du « couteau suisse ». Et on sort les chiffres : il est l’attaquant qui a le plus participé à des actions défensives et celui qui a créé le plus d’occasions. À tel point que le débat, quant à savoir qui de lui ou de Lionel Messi sera le meilleur joueur du Mondial, est ouvert. Et tout doit se décider lors de la finale. Mais, celui qui avait dicté son rythme jusque-là est méconnaissable. Il passe à côté de son match. « Je n’arrivais pas à me trouver, je ne savais pas quoi faire, ni ce que l’équipe attendait de moi. J’étais très perdu. » expliquera-t-il. La perspective d’un deuxième sacre mondial passe sous le nez des Français, et ils l’auront encore longtemps en travers de la gorge. 

Chapitre 6 : 2024, le crépuscule d’un champion

Antoine a gagné la Coupe du monde, et même la Ligue des Nations, mais il lui manque un dernier trophée : celui de l’Euro. Alors qu’il a dans le viseur le Mondial 2026, comme potentielle dernière compétition de sa carrière en Bleus, l’Euro en juin sonne comme sa dernière chance de ramener le trophée manquant à sa collection. Mais, il reviendra seulement avec de l’amertume et de la tristesse… qui avaient déjà semé leurs graines depuis quelque temps. Difficile déjà, pour « Grizi », de ne pas être sensible au départ progressif de ses plus grands potes en sélection. Plus de Blaise Matuidi, Paul Pogba, Hugo Lloris, Raphaël Varane en vue, et bientôt plus d’Olivier Giroud. Alors quand il pensait peut-être voir son œuvre récompensée par le brassard, mais qu’il a fini sur le bras d’un ancien Parisien, Antoine a pris un coup. Mais, encore une fois, il s’est adapté, a enfoui sa déception et est retourné sur le terrain comme si de rien n’était. Parce qu’après tout, il l’aimait toujours cette équipe. Pourtant, même avec toute la volonté du monde, l’Euro l’a achevé. Lessivé après une grosse saison avec l’Atlético, il a toujours eu du mal à passer la deuxième, et le déclassement que lui a fait subir Deschamps n’aura pas amélioré les choses. Baladé de poste en poste et sur le banc, le numéro 7 voit sa relation privilégiée avec le sélectionneur s’effriter. La fin de l’histoire s’annonce déjà.

Chapitre 7 : Épilogue 

6 septembre 2024. Alors que ses coéquipiers sont déjà partis sous la douche après la défaite cuisante face à l’Italie, Antoine Griezmann salue le public, en solitaire. Son prochain match ne sera pas juste le suivant, mais le dernier. Dans sa tête, tout est sûrement déjà clair, mais autour de lui personne ne le sait. Enfin, jusqu’à ce lundi 30 septembre où il a officiellement rangé son maillot bleu. Peut-être qu’un jour, il l’enfilera de nouveau, comme l’a fait un ancien numéro 10 avant lui… Mais, en attendant, alors qu’il aurait mérité que tous les projecteurs soient braqués sur lui, il a préféré quitter la scène dans l’ombre. Du Griezmann tout craché. Le collectif avant l’ego. Toujours. 

Léonie DENET